L’Éveil est le premier roman de Line Papin, paru chez Stock, le 24 août 2016. Cette même année, il a reçu trois prix : le Prix de la vocation, le Prix des lauriers verts, le Prix du premier roman. L’auteur, eurasienne de père français et de mère vietnamienne, qui avait vingt ans lors de la parution du roman écrit entre 16 et 19 ans, a vécu jusqu’à l’âge de dix ans à Hanoï.
L’intrigue réunit quatre personnages : Juliet, la fille de l’ambassadeur d’Australie, deux expatriés, un jeune Français dont le nom est tu, Raphaël son ami et Laura, une voyageuse. Juliet aime tout court le jeune Français, c’est-à-dire passionnément, celui-ci aime beaucoup Juliet, c’est-à-dire pas assez à son gré. Raphaël, l’ami, le confident, ou le complice n’a pas d’attache, il fréquente les femmes faciles et les bordels. Laura semble n’aimer personne et surtout pas elle-même mais elle fascine et révulse le jeune Français.
Le roman est construit sur une alternance de courts chapitres structurant le récit autour de deux points de vue, celui de Juliet et celui du jeune Français. L’atmosphère d’abord ludique et légère s’alourdit progressivement lorsque l’on passe de la description de l’Éveil de Juliet à celle des relations, amoureuses et douloureuses à la fois, de Laura et du jeune Français. L’Éveil de Juliet ne se limite plus aux douceurs de l’amour mais aussi à l’incompréhension et au sentiment de n’être pas vraiment aimée.
Hanoï n’est pas seulement le lieu où se déroule le roman, mais constitue en quelque sorte un personnage à part entière, avec deux espaces contrastés, celui des relations amoureuses dans la moiteur effervescente des ruelles obscures ou des marchés, le vrai Hanoï, et celui des relations sociales dans l’espace protégé de l’ambassade, des lieux de résidence des riches expatriés, ou d’une piscine fréquentée par les Européens. Ces deux espaces sont aussi celui des vieux et celui des jeunes. Aux premiers, le ridicule, la laideur et l’insignifiance, aux seconds, la beauté et le souci de la seule chose qui vaille de vivre, la quête de l’amour. Particulièrement représentative de l’espace des vieux, la fête de Monsieur Klin : « Mr Klin fêtait ses cinquante ans hier. Ce vieux con s’empare de la moindre occasion pour fêter sa présence - se fêter en fait… Je suis sans doute l’un des seuls à avoir remarqué que Klin nous avait organisé une soirée bien ridicule, et c’est pourtant la crème de la crème qui y était réunie : messieurs les directeurs étrangers de restaurants, d’hôtels, d’instituts, messieurs les directeurs émérites et toutes les dames et les enfants de... Imaginez ce rassemblement de riches expatriés endimanchés, ivres qui plus est, dansant un rock démodé dans un décor suintant d'exotisme..». Et c’est dans cette soirée ridicule que le jeune Français apparaît à la fille de l’ambassadeur, tel Roméo à Juliette dans la scène du bal : « Mais une ombre soudain se détache et surgit hors de celle des charmilles : une ombre dansante qui tournoie... c’est lui... c’est lui que je vois seul et il tourne seul comme tombé de la lune, c’est lui que je vois, lui ma fête, son sens, c’est pour lui que je suis venue ...»
Le style est simple, fluide, limpide et souple, apte à exprimer la douceur des rapports amoureux : « Elle (Juliet) me hume, on dirait qu’elle veut m’aspirer, qu’elle a trouvé quelque puits de diamant en moi, je ne sais où. Je la vois fureter, me sonder avec adoration, je la vois fouiller les zones de mon corps comme un plongeur les zones de l’océan. Parfois elle revient vers moi et me dit, nos visages et nos corps mêlés, sa trouvaille. Je vois ses dents briller comme des perles. Avant de s’endormir, elle miaule un peu contre mon torse, respire fort, murmure n’importe quoi, en anglais même parfois». Lorsque Line Papin décrit les relations entre Laura et le jeune Français, le style se fait plus âpre, plus haché : « Mais en avançant j’ai vu quelque chose au sol, un peu plus loin … J’ai continué d’avancer et j’ai vu des cheveux, des jambes se découper dans l’ombre : c’était une femme. Elle était toute recroquevillée; elle sanglotait. J’ai accouru et j’ai vu soudain; c’était Laura. Je me suis arrêté net, alors. Je ne l’avais jamais vu pleurer, ni faiblir. Elle m’avait toujours impressionné par cette beauté féroce, sa violence… Mais ce soir-là, non. Ce soir-là, j’ai vu une enfant. En tailleur, par terre, en larmes, ivre et décousue, c’était une enfant que je découvrais, à vif dans sa fragilité. Ses traits d’habitude si durs avaient comme fondu, son corps si sec s’était ramolli, et elle gisait au sol, larmoyante, un petit tas sans énergie, sans espoir, sans secours, entourée d’un grand cercle de solitude et d’impuissance : une enfant »
Le style de Line Papin possède aussi une grande valeur descriptive. Dans les lignes qui suivent, elle décrit ainsi un marché : « Là, les femmes crient, négocient ; certaines courent bol de riz à la main derrière leurs enfants qui refusent de manger. Par terre on marche sur des coques de litchis, des noyaux, des bouts de papier, des pelures, des étiquettes, toutes sortes d’ordures qui s’éparpillent le long des couloirs jusqu’aux portes de sortie. En dehors, à l’entrée, afin, peut-être, de ne pas accroître l’odeur déjà pestilentielle de la halle, on trouve des vendeurs d’animaux avec leurs cages trop petites où sont entassés plusieurs chats....
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